L’incorporation
En 1978, je quitte mes études pour aller nettoyer les côtes de Bretagne, à Trégastel, à la suite du Naufrage du superpétrolier l’Amoco Cadix. Mon travail de bénévole finit, je me retrouve avec une furieuse envie de voyager, mais sans argent. Lors d’un salon international, je remarquais dans un stand d’information de l’armée que l’infanterie de marine avait une caserne en Amérique du Sud, à Cayenne. Renseignements pris, en devenant EVSOM soit "engagé volontaire pour servir outre-mer", je pourrais partir faire mon service militaire là-bas, en contrepartie mon temps d’armée serait de dix-huit mois au lieu de douze. À l’issue des classes, un classement a lieu en fonction des notes obtenues. Les premiers ont le choix de leur destination, les derniers prennent les places qui restent. Pour être sûr de partir en Guyane, je dois obtenir une bonne place au classement et surtout être dans une discipline où le choix de destinations soit maximum.
Je me rends donc au centre de sélection, devance l’appel, fais des tests et à ma grande surprise je suis réformé ! Je conteste le résultat et je me retrouve dans un hôpital au milieu d’une centaine de jeunes qui eu sont dans le cas inverse. Quand ils apprennent que je conteste ma réforme et que je veux m’engager, me considérant comme un traître, ils veulent me lyncher ! C’est pas mal pour des objecteurs de conscience antimilitaristes et non-violent, non ?
Devant l’urgence de la situation, je me fais recevoir par le médecin-chef qui m’explique que je ne suis pas fait pour l’armée, que je ne supporterais la vie militaire... !
Sur mon insistance et après maintes palabres, il accepte de me déclarer apte. C’est ainsi que fin septembre 1978, je me retrouve à Fréjus, au 3e Rima.
Les classes au 3e Rima
À peine arrivé à la caserne et avant d’avoir le temps de réaliser ce qui se passe, je me retrouve en uniforme et avec le crâne rasé. Heureusement, après maintes ruses et un premier conflit avec mes supérieurs, j’arrive après un savant stratagème à passer à la photo avec mes bacchantes à la tartare ce qui les a sauvés d’une fin certaine. Du moment qu’elles étaient sur ma carte d’identité militaire, elles devenaient intouchables. J’ai donc dû assumer le fait d’être le seul moustachu de la caserne, ce qui me donnait une certaine individualité, chose très mal vue. Heureusement, mon chef de section était un vieux baroudeur qui avait fait toutes les guerres et qui avait la qualité essentielle et unique d’être barbu ! Le seul barbu que j’ai vu dans l’infanterie de marine ! Ses nombreuses médailles lui octroyaient certainement ce rare privilège. Il prit donc sous sa protection mes moustaches et lorsque je refusais la place de dactylo que l’on m’imposait alors que je voulais devenir GV, c’est à dire, grenadier voltigeur, il fit pression sur la hiérarchie.
C’est rare que l’on devienne GV par choix. Le GV, c’est la bête de bât à tout faire de la coloniale. Outre jouer à la guerre à outrance, il doit se taper sans rechigner les pires corvées de la caserne. Mais j’y trouvais un avantage, l’assurance certaine qu’il y aura des places pour la Guyane. En Guyane, seules les sections de combat, constituées de GV, prennent part aux missions en forêt profonde. Je me consolais en me disant que c’était les initiales de mon grand-père et que cela me porterait chance. J’ai donc vaillamment supporté l’insupportable, les corvées, les brimades, les humiliations, les insultes des gradés afin de me classer à la meilleure place possible. La sélection était impitoyable. Les faibles étaient éliminés et perdaient toute chance de partir. La plupart de mes compagnons avaient la même passion pour les voyages et n’ayant pas trouvé de place de GO (gentils animateurs au Club Méditerranée) se retrouvait GV ! Seuls quelques un se retrouvaient ici suite à des actes de petites délinquances, ils avaient eu le choix, la tôle ou l’armée. S’ils avaient su, ils auraient choisi la prison.
Nous commençons nous journées par un réveil à cinq heures, corvées, petit déjeuner, cross dans le maquis de 15 à 30 km, des cours, des exercices, du tir, du combat..., et cela, jusqu’à dix-sept heures. Ensuite viennent le repas du soir et le repos théorique, car en pratique, les exercices d’alerte et les corvées nous privent souvent d’un sommeil réparateur. Nous avons passé des nuits complètes à nettoyer des couloirs avec pour seul outil une brosse à dents ou à nettoyer l’armement...
Nous avons été prés de Nice pour nous battre contre des légionnaires puis vînt le test final, trois jours de combats dans les montagnes, de marches, sans sommeil. Un gars d’une autre section est tombé dans un ravin se cassant deux jambes, et plusieurs de mes camarades ont craqué, un a même perdu son fusil et son casque. Nous avons dû partir les rechercher, à pied et sans le fautif qui lui se reposait en prison ! Pour nous remercier de notre bravoure et de notre courage, à notre retour à la caserne, nous avons fait les pires corvées alors que nous étions morts de fatigue.
Ce fut notre dernière épreuve, car nous apprenions quelques jours plus tard que nous partirions plus tôt que prévu outre-mer. La cérémonie du classement se déroule sans mauvaise surprise et je peux choisir comme prévu les Antilles-Guyane. Si j’étais resté dactylo, je n’aurais pu choisir qu’entre Tahiti, Djibouti, et la Nouvelle-Calédonie. Avant de partir, nous devons avoir 15 jours de permissions qui furent ramenées pour je ne sais qu’elle obscure raison, à une semaine. Maintenant, il va me falloir de la chance. Arrivé aux Antilles, je dois me faire muter en Guyane.
Arrivée à Cayenne
Je me rend à Paris pour prendre un DC10 militaire à destination de Fort-de-France en Martinique. À la sortie de l’avion, je suis dirigé vers un camp de vacances de l’armée à l’Anse à l’Âne. Après une journée de farniente passée à la plage, j’apprends qu’un avion part pour Cayenne et qu’il y a des places. Je me propose et pars avec sept autres volontaires dans un Transal séance tenante pour la Guyane. Voyager en Transal, c’est toute une aventure. La soute est aménagée pour le transport des marchandises ou des parachutistes, mais pas pour des passagers. Lorsqu’au milieu de l’océan, un moteur tombe en panne, cela déclenche l’hilarité des pilotes. Pour nous rassurer, ils nous racontèrent que lors du voyage précédent c’était l’autre moteur qui avait lâché, la routine, quoi !
Un vieux camion Simca, nous chargea à l’aéroport et nous amena au Bima à Cayenne. Trois d’entre nous se retrouvèrent en section de combat et les autres partirent à la compagnie de commandement et de services. Une fois de plus, on me dirigea vers une carrière de dactylo comptable. Bien sûr, je m’empresse de réclamer ma réintégration en tant que GV. Un GV volontaire, ils n’ont jamais vu ça ! Après maintes péripéties, j’intègre la première section de la première compagnie. Trois Européens au milieu de 110 Antillo-Guyanais et quelques Réunionnais. Certains ne savent pas signer leurs noms. La moitié des gars qui sont ici n’ont pas été sélectionnés pour aller au SMA (service militaire adapté) pour apprendre un métier, leur niveau de scolarité est trop bas. L’autre moitié habite Cayenne et préfère être casernée près de chez eux. Le meilleur côtoie le pire et à l’idée de rester dans une chambre de dix, grande comme un mouchoir de poche, avec des gens qui n’apprécient pas les Français... mon enthousiasme s’effrite. On nous informe qu’il est interdit de sortir seul et en tenue militaire en ville et on nous donne un périmètre qui comprend le centre-ville et dans lequel la police militaire patrouille. Nous ne pouvons pas le quitter, des agressions ont eu lieu à coups de rasoir contre des militaires français. J’oubliais, la Guyane c’est la France. Mais il y a les Français de France et les Français d’ici... moi je fais partie de la mauvaise tribu ! Heureusement, je m’intègre très vite et bientôt, personne ne fait plus la différence, une question d’attitude, de respect et de compréhension. Mes premiers émois passés, j’apprécie énormément la vie à Cayenne et je me fais immédiatement de bons amis.
Le neuvième bataillon d’infanterie de marine
L’origine du Bima remonte au 9e RIC basé au Tonkin. Il s’illustre à plusieurs reprises face au Japonais en 1940 en particulier à Nachan. En mars 1955, après une résistance héroïque, il succombe sous le nombre, mais réussit tout de même à sauver son drapeau, gagnant la croix de guerre avec palme. Il participera ensuite aux événements d’Algérie avant d’être dissous en 1963.
Le premier septembre 1976, le 9e Bima voit le jour à Cayenne. Son insigne est constitué de deux tamanoirs pour représenter Cayenne et d’une pagode pour rappeler son glorieux passé et sa vaillance.
La caserne, le quartier Loubère, était constituée en 1978 d’une compagnie de commandement et de service qui regroupait les services administratifs, techniques, de transmission et de transit. À l’époque, si mes souvenirs sont exacts, d’une centaine de personnes.
La première compagnie, regroupait une section de commandement, trois sections de combat et une section d’éclairage et de reconnaissance qui équipée de Jeep, jouait au cow-boy jusqu’au jour où à leur plus grande honte, les vaillantes Jeeps ont été remplacées par des méharis... mais ça c’est une autre histoire ! J’oubliais, une autre section, surnommée ’’la fluviale’’, était basée à St-Jean du Maroni, mais nous avions peut de contact avec elle sauf lors des missions sur le Maroni.
Les classes (2)
Nous sommes arrivés à la dissolution et à la libération de l’ancienne section. Ils ont fini leur temps et rentrent chez eux fous de joie en nous traitant de bleus et en gueulant dans les couloirs des "libérables" à tous moments. Nous les voyons partir et arriver les nouveaux, on trouve ainsi plus bleu que nous et notre situation s’améliore, on devient les anciens. Nous apprenons que nous allons refaire nos classes avec eux ! L’horreur ! le cauchemar recommence. Je suis convoqué par le chef de compagnie qui veut absolument m’envoyer en Martinique faire le PEG, le peloton des élèves gradés. Je fais un rapide calcul, si j’y vais, je rate les stages Cefe (connaissance élémentaire de la forêt équatoriale), le stage survie et la mission tri-jonction, hors je suis là pour ça. De plus, je ne suis pas là pour brimer les autres. Je refuse poliment, mais énergiquement le grand honneur qui m’est fait en exposant mes raisons. Plein de compréhension, on m’envoie donc passer mes permis et j’échappe ainsi au re-classe. Étant devenu un studieux élève apprenti conducteur avec deux de mes camarades de section, j’échappe ainsi aux corvées, brimades et exercices de toutes natures pendant près de deux mois. Mon ami Crouzet et Coutieras, tous deux originaire du sud-ouest eux par contre en bavent et me racontent lorsqu’ils sont de passage dans la chambrée, leur calvaire. Ils sont couverts de petites plaies, des piqûres de moustiques infectées qui suppurent sans cesse. Mon permis passé et leur re-classe finies, nous sommes partis faire le stage Fes puis le Cefe 9. Nous avons appris tous les rudiments de la vie et de la survie en forêt. Vint ensuite une survie de trois jours en forêt à Bélizon où livré à nous-mêmes nous devons survivre. Je me suis construit un camp de Robinson, j’ai pêché, une vraie partie de camping.... des vacances. Pour moi du moins, car pour beaucoup ce fut une dure épreuve. Nous avons eût le rare privilège de nous mettre une bande d’oiseaux à dos et nous n’avons dû notre salut qu’à l’arrivée providentielle de renforts !
Ensuite, je fis du combat au camp du BRGM de kaw, puis la mission trijonction et Saül dont vous trouverez les récits ici